Il était une fois rue des Rosiers ...
17, rue des Ecouffes. 36, rue des Rosiers. 20, rue Ferdinand-Duval (anciennement rue des Juifs) ... Derrière ces numéros du plus ancien quartier juif de Paris, surnommé le Pletzl - la place, en yiddish -, se cachent des histoires douloureuses. Des souvenirs de familles à jamais brisées par la folie meurtrière de la seconde guerre mondiale. Dans son dernier livre, « Les Larmes de la Rue des Rosiers » (Ed. des Syrtes), l’historien Alain Vincenot nous livre une série de témoignages poignants de survivants du quartier, enfants cachés, pour la plupart. Nous l’avons rencontré … rue des Rosiers justement.
Le Jérusalem Post : en se promenant avec vous dans le Marais, on ressent votre attachement pour ces lieux… Est-ce le point de départ de votre livre ?
Alain Vincenot : C’est un quartier que je trouve fascinant… Le seul qui ait vraiment une âme juive à Paris, même si aujourd’hui, son visage a beaucoup changé : les librairies, boulangeries et autres commerces, cèdent de plus en plus la place aux boutiques de vêtements de luxe malheureusement. Mais dans le cœur des gens, cela demeure un endroit mythique, une référence, où l’on vient faire ses courses de shabbat, acheter des livres à thèmes juifs … En écrivant « Les Larmes de la Rue des Rosiers », je voulais montrer, à travers la vie d’un quartier, ce qu’avait été très concrètement la Shoah. Celle-ci est en train de devenir un champ de l’Histoire désincarné. Pour moi, les chiffres parlent parfois moins que les histoires humaines. Mon livre donne donc la parole à des témoins directs qui ont vécu la plongée progressive des habitants du Pletzl dans l’horreur: d’abord, en 40, le recensement obligatoire, puis l’aryanisation des biens, l’étoile jaune, l’interdiction d’accès à certains lieux, les rafles, dont celle du Vel d’Hiv, qui a frappé le quartier, le 16 juillet 1942, les camps d’internement et, enfin, la déportation.
Le JP : Comment décririez-vous la vie au sein du Pletzl à l’aube de la seconde guerre mondiale ?
Le Jérusalem Post : en se promenant avec vous dans le Marais, on ressent votre attachement pour ces lieux… Est-ce le point de départ de votre livre ?
Alain Vincenot : C’est un quartier que je trouve fascinant… Le seul qui ait vraiment une âme juive à Paris, même si aujourd’hui, son visage a beaucoup changé : les librairies, boulangeries et autres commerces, cèdent de plus en plus la place aux boutiques de vêtements de luxe malheureusement. Mais dans le cœur des gens, cela demeure un endroit mythique, une référence, où l’on vient faire ses courses de shabbat, acheter des livres à thèmes juifs … En écrivant « Les Larmes de la Rue des Rosiers », je voulais montrer, à travers la vie d’un quartier, ce qu’avait été très concrètement la Shoah. Celle-ci est en train de devenir un champ de l’Histoire désincarné. Pour moi, les chiffres parlent parfois moins que les histoires humaines. Mon livre donne donc la parole à des témoins directs qui ont vécu la plongée progressive des habitants du Pletzl dans l’horreur: d’abord, en 40, le recensement obligatoire, puis l’aryanisation des biens, l’étoile jaune, l’interdiction d’accès à certains lieux, les rafles, dont celle du Vel d’Hiv, qui a frappé le quartier, le 16 juillet 1942, les camps d’internement et, enfin, la déportation.
Le JP : Comment décririez-vous la vie au sein du Pletzl à l’aube de la seconde guerre mondiale ?
AV : C’était un village, un shtetl en plein Paris ! Peuplé de commerçants, d’artisans… Des Bundistes fuyant les pogroms et la misère, venus des quatre coins d’Europe de l’Est. Le quartier était loin de ressembler au Marais « bobo » d’aujourd’hui. A l’époque, les gens vivaient dans une extrême pauvreté et dans l’insalubrité. Des familles entières entassées dans une seule pièce. Malgré tout cela, ils avaient foi en la France…
Le JP : A travers plusieurs témoignages du livre, on est justement frappé de constater à quel point les habitants du Pletzl ont, pendant très longtemps, fait confiance aux autorités françaises.
AV: C’est normal. Pour beaucoup, il était inconcevable d’imaginer que la France puisse les trahir. Surtout ceux qui avaient fait la guerre de 14, qui étaient très bien intégrés et patriotes. Les Juifs se sont donc faits recensés, ont porté l’étoile, se sont rendus aux convocations de la police, en pensant qu’ils s’agissait d’une simple formalité. « Puisqu’ils étaient Français », croyaient-ils, « ils ne risquaient rien ». Pour les Juifs qui émigraient en France, la République était un idéal. Ils n’avaient qu’une devise en tête : « Heureux comme Dieu en France », le pays des droits de l’homme, de Napoléon, d’Hugo ou de Zola qui avait défendu le capitaine Dreyfus. En travaillant dur, en envoyant les enfants à l’école de la République, ils étaient convaincus qu’ils s’en sortiraient. Ils croyaient dur comme fer à la méritocratie républicaine.
Le JP : Le Pletzl était donc assez ouvert sur l’extérieur ?
AV : Bien sûr ! C’était un quartier, certes juif, mais qui n’avait rien d’un ghetto ! Le témoignage de la fille du Bougnat, Jeannine Maison-Abadie, dans mon livre, le montre très bien. Elle allait à l’école avec les enfants juifs du quartier, jouaient avec eux dans la rue. Leurs pères buvaient des schnaps ensemble. Car le judaïsme y était plus culturel que cultuel et si l’on s’installait rue des Rosiers, c’était principalement parce qu’on venait à Paris, avec comme seul point de chute, l’adresse d’un cousin ou d’une connaissance … Un peu comme les Bretons à Montparnasse ! Chez Goldenberg (ndlr : ancien restaurant aujourd’hui remplacée par une jeanerie), il arrivait que Jo, le patron demande à ses musiciens yiddish que l’on joue une bourrée limousine à la fille du bougnat ! On m’a même raconté qu’une coiffeuse du quartier, qui n’était pas juive, avait fini par prendre l’accent yiddish !
Le JP : A l’heure où l’on débat beaucoup de laïcité en France, vous racontez une anecdote étonnante sur l’école publique des Hospitalières-Saint-Gervais …
AV : Oui. Contrairement aux autres établissements, cette école primaire laïque du Pletzl (ndlr : d’abord ouverte par la Fondation Rotschild et le Consistoire de Paris), était fermée le samedi, jour de shabbat au lieu du jeudi, jour de repos des écoliers. On s’arrangeait un peu avec la laïcité en somme. Mais cela n’a pas empêché l’école publique d’être, pour les enfants juifs débarqués fraîchement de l’Est, l’un des tous premiers vecteurs d’intégration, où ils apprenaient le Français aux côtés de leurs petits camarades.
Le JP : La plupart de vos témoins sont les seuls ou rares rescapés de leurs familles. Certains ont du mal à parler du passé, même avec leurs enfants. Comment parvenez-vous, vous, à libérer leur parole ?
Le JP : La plupart de vos témoins sont les seuls ou rares rescapés de leurs familles. Certains ont du mal à parler du passé, même avec leurs enfants. Comment parvenez-vous, vous, à libérer leur parole ?
AV : La plupart du temps, je me tais. J’attends que cela vienne. Cela peut prendre des heures. D’ailleurs, la plupart du temps, je ressors de ces interviews complètement éreinté. Il faut être d’une extrême patience et attendre le déclic. Je me rappelle d’une femme, qui s’était montrée extrêmement réticente à témoigner puis avait fini par accepter. Quelques temps plus tard, elle m’a confié qu’après notre entretien, elle avait enfin eu la force de relire la dernière lettre écrite de la main de ses parents. Elle n’avait jamais eu le courage de la déplier … depuis 1945.
Alain Vincenot, Les Larmes de la Rue des Rosiers, Edition des Syrtes, 2010. Préfacé par Elie Wiesel.