Monday, May 08, 2006

Dialoguer pour gommer les clichés

Interview
Michel Serfaty, Rabbin de Ris-Orangis, Co-Président de l’Association pour l’Amitié Judéo-Musulmane de France (AJMF)

Votre bus de l’amitié judéo-musulmane a entamé pour la deuxième année consécutive son tour d’Ile-de-France Comment analysez-vous les tensions entre ces deux communautés, au regard de votre expérience quotidienne ?

J’observe que les tensions sont généralement le fruit de la méconnaissance de l’autre. Les juifs comme les musulmans en partagent la responsabilité. Là où les juifs ont fait le pas de se rapprocher, ils ont su anticiper sur les crises en instaurant des relations de convivialité et de bon voisinage. En 85, nous avons proposé un double jumelage à Ris-Orangis avec une ville israélienne et palestinienne. Quand la crise de Intifada à éclaté, puis après le 11 septembre, nous, juifs et musulmans, avons manifesté, côte à côte. Par contre, dans les quartiers où les clivages avaient été entretenus, l’antisémitisme s’est développé. L’erreur de la communauté juive, c’est qu’elle a trop souvent pris la communauté musulmane de haut. Les cadres juifs doivent aujourd’hui impérativement à aller à la rencontre des jeunes musulmans. Malheureusement, mes appels sont des coups de sabre dans l’eau car une partie de la communauté a tendance à se radicaliser. Combien de rabbins ont dénoncé mon initiative ? Et ce au plus haut des institutions communautaires juives… De l’autre côté, les violences ont été alimentées par la culture primaire islamique de certains musulmans. Un Islam instrumentalisé et déformé. Certains jeunes que je rencontre font référence à des cassettes du Hamas qui circulent dans les quartiers, ordonnant la chasse et le meurtre de tous les juifs… Si les jeunes se raccrochent aux discours extrémistes, c’est en partie lié à des problèmes d’intégration mal résolus, à la formation de ghettos. L’image renvoyé par les médias du conflit au Proche-Orient a également largement contribué à exacerber les tensions.

Depuis quelques années, il y a eu justement une prise de conscience dans les médias, par rapport à la montée de l’antisémitisme : la ressentez-vous concrètement sur le terrain ?

Je pense que ce qui a eu un réel impact sur l’opinion c’est avant tout l’apaisement relatif des tensions au Proche-Orient. La politique de construction du mur et le désengagement en Israël, du fait de la baisse des actes terroristes qu’ils ont provoqué n’a plus donné matière aux médias. Et forcément, moins on parle du conflit, moins les esprits s’enflamment. A mon sens aujourd’hui, le conflit israélo-palestinien a moins d’influence qu’il n’en avait auparavant sur l’opinion publique : ceci a tendance a faciliter les relations entre juifs et musulmans. De nombreux musulmans modérés sont prêts à refuser l’anti-sionisme, à s’asseoir et à discuter. Nous devons leur dire à quel point le conflit israélo-palestinien véhiculé par Leïla Chahid est teinté de propagande. Je perçois moi-même un changement au sein de notre association. Au début de sa création, nous avions convenu d’éviter d’aborder le sujet d’Israël. Il fallait d’abord consolider nos liens. Aujourd’hui, nous pensons de plus en plus à organiser un voyage là-bas.

Lorsque vous abordez des gens dans la rue, vous allez souvent en priorité au devant de jeunes : ce sont les premiers concernés selon vous ?

C’est une réalité : les tensions aujourd’hui n’existent qu’entre juifs et jeunes arabo-africains. Pas avec leurs aînés, leurs parents… Ou très peu. Les personnes plus âgées veulent vivre en paix. Certains travaillent chez des juifs. Ce n’est pas les cas des jeunes musulmans : combien de fois ai-je entendu «Travailler chez un juif ? Jamais ! ». Ce sont donc ces jeunes qu’il faut absolument sensibiliser en priorité. Récemment nous sommes partis en Pologne avec des jeunes de la cité des Tarterêts. Nous nous sommes rendus au ghetto de Varsovie où nous avons vu de jeunes officiers de l’armée israélienne y prêter serment. Je leur ai expliqué que chaque année la Pologne autorisait Israël à organiser ces cérémonies officielles au ghetto ainsi que dans certains camps de concentration, comme à Maïdanek. C’est un symbole fort et marquant. C’est en comprenant ce qu’est la Shoah, que les jeunes peuvent aussi comprendre ce qu’est Israël. Ce genre d’exemple ne peut les laisser indifférents.

L’éducation nationale a-t-elle selon vous sa part de responsabilité ? A-t-elle un rôle à jouer pour inverser la donne ?

Il faut bien l’avouer, l’Education Nationale ces dernières années a malheureusement démissionné. La plupart des enseignants ont peur, préfèrent céder et baisser les bras. Voilà comment, dans certains établissements, on en arrive à ne plus aborder la question du conflit au Proche-Orient, l’éducation sexuelle ou encore l’œuvre de Voltaire. L’Ecole, les mairies, les associations de quartier doivent absolument nous relayer. Ce que nous faisons, à notre échelle, en allant discuter avec les passants, il faut bien l’avouer, est insignifiant. Mais nous espérons que notre action aura l’impact médiatique capable de provoquer des interrogations au sein de ces institutions. L’Ecole a aujourd’hui le devoir de s’interroger sur les stratégies qui doivent être mises en place pour corriger les clichés. Il n’y a pas forcément besoin d’une stratégie nationale. On sait très bien que le 16ème arrondissement et la Vendée ne sont pas les lieux les plus concernés par ces problèmes. L’éducation nationale sait localiser les zones où il est urgent d’agir. 25% de la population scolaire est issue de l’immigration. Sur ces 25%, entre 10 et 15% véhiculent une quantité de clichés sur les juifs. Il est urgent, dans l’espace des dix ans à venir, de parvenir à gommer ces stéréotypes des mentalités.

Propos recueillis pas Noémie Taylor
Crédit photo site UEJF

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