Saturday, May 06, 2006

Femmes rabbins : bientôt la reconnaissance

Pour Pauline Bebe, les courants du judaïsme orthodoxe et traditionaliste seront bientôt amenés à ouvrir le débat au sein de leurs propres communautés.

Fondatrice de la communauté juive libérale d'Ile-de-France en 1995, spécialiste des femmes et du judaïsme, Pauline Bebe est devenue la première femme rabbin en France et en Europe continentale. Plus de 15 ans se sont écoulés depuis son ordination au Leo Baëck college de Londres. Interrogée par le Jerusalem Post edition française, elle livre son analyse de la question et nous fait part de ses espoirs.
- Depuis votre ordination en 1990, quel bilan global tirez-vous de l'évolution de la situation des femmes rabbins ?
- Depuis ces quinze dernières années, j'ai le sentiment que les choses ont réellement bougé. Les femmes rabbins sont aujourd'hui environ 600 à travers le monde, alors qu'elles n'étaient que 200 en 1990. La plupart se trouvaient aux Etats-Unis puisque c'est principalement là-bas que s'est développé le mouvement. La première femme au monde a avoir été ordonnée rabbin était une Américaine, Sally Priesand, en 1972. Elles sont aujourd'hui une dizaine en Israël et à peu près autant en Europe continentale, alors qu'il y a 15 ans j'étais la première et la seule. Aujourd'hui, il y a des femmes rabbins en Allemagne, à Budapest, à Minsk ! Et il y a quelques mois, la Belgique a accueilli sa première femme rabbin, une Française, Floriane Chinsky. Il faut savoir également qu'aujourd'hui on compte de plus en plus de femmes dans les séminaires rabbiniques. Plusieurs formations existent aux Etats-Unis, à Londres et en Israël au sein desquelles la moitié des effectifs sont féminins.
- Pourquoi n'existe-il pas de telles formations en France ?
- Comme je vous le disais, les femmes françaises qui souhaitent devenir rabbins doivent aller à l'étranger pour être formées. Deux personnes y étudient actuellement. Mais difficile de prévoir à l'avance si elles choisiront de rester. Bien évidemment, je l'espère. La France compterait alors trois femmes rabbins. Mais en ce qui concerne la question de la formation, je pense qu'il faudra attendre encore un peu avant que cela se développe un jour dans notre pays. C'est un problème encore complexe : contrairement aux pays anglo-saxons qui comptent parmi leurs formateurs d'excellents philosophes et historiens, nous avons de très brillants enseignants du Talmud parmi lesquels très peu sont d'excellents spécialistes en sciences humaines. C'est réellement ce qui nous manque pour que se développe des formations réservées aux femmes. Il faut savoir tout de même que dans les années 1960, le rabbin Zaoui, qui a fondé la première synagogue libérale Har El en Israël, a formé en France une dizaine de femmes dont faisait notamment partie Colette Kessler [fondatrice en 1977 du Mouvement juif libéral de France avec le rabbin Daniel Fahri, Ndlr]. Mais aucune de ces femmes ne sont devenues rabbins.
- En dehors des "cercles" libéraux, comment êtes-vous perçue par les autres représentants de la communauté juive ? Certains traditionalistes sont-ils favorables à l'ordination des femmes rabbins ?
- La position officielle adoptée par le Consistoire, c'est d'être contre. Au début de ma carrière j'ai rencontré beaucoup d'oppositions. Mais il y a aujourd'hui tout de même quelques rabbins qui me connaissent et avec lesquels cela se passe plutôt bien. Notamment chez les 45 % de rabbins conservateurs qui ne sont pas reconnus par le Consistoire. Pour les autres, certains y sont favorables mais de manière officieuse cette fois, puisqu'ils ne peuvent pas s'inscrire en porte-à-faux de la position consistoriale. Les traditionalistes qui me soutiennent ou qui portent un regard positif sur mon engagement pensent généralement que le rôle de la femme doit évoluer. Ils se rendent compte que mon travail sur la question est extrêmement sérieux et précis, que l'on ne fait pas n'importe quoi.
- Certaines orthodoxes féministes comme l'Américaine Blu Greenberg prédisent que l'orthodoxie finira un jour ou l'autre par compter parmi ses rangs des femmes rabbins. Pensez-vous que cela puisse arriver en France ?
- Il faut savoir que contrairement à la France, les féministes orthodoxes aux Etats-Unis et en Israël ont réussi à se prendre en main d'une façon remarquable... Ce sont elles qui forment des minyan féminins et qui ont organisé les premières prières des femmes au mur Occidental... C'est loin d'être le cas dans l'Hexagone, où l'orthodoxie moderne est très peu développée. Toutefois, il y a peut-être un an, un petit groupe de femmes s'est constitué en France mais celles-ci restent encore très minoritaires. Nous n'en sommes qu'aux balbutiements... Côté Consistoire, il y a eu quelques signes d'ouverture à l'égard des femmes et des positions qu'elles peuvent occuper : il y a trois ou quatre ans, lors des dernières élections du Consistoire, quatre femmes ont été élues à des postes de responsabilité éducatives, sociales... Je me rappelle, nous les avions mêmes appelées pour les féliciter. Mais je ne pense pas qu'il faille voir là de vraies raisons d'espérer que les choses évoluent réellement car d'un autre côté, les positions du Consistoire ont eu tendance à se durcir sur certains aspects ces derniers temps. Il faut savoir par exemple, qu'à la synagogue, les femmes qui ont l'habitude de rejoindre les hommes sous le talith pour Kippour sont aujourd'hui refoulées lorsqu'elles sortent de la galerie des femmes. On assiste d'ailleurs à de véritables pugilats, alors que jusqu'à présent cette coutume ne posait pas de problème.
- Quelles sont les arguments les plus fréquemment employés par les "antis" ? Que leur répondez-vous ?
- Contrairement à ce que l'on pense, ce sont souvent des réactions purement sexistes, davantage liées aux mentalités qu'à la religion en elle-même. Les opinions varient beaucoup en fonction de l'éducation et des valeurs reçues par chacun. Il y a aussi bien entendu des arguments qui se fondent sur des contradictions d'ordre religieux. Mais pour nous, il y a toujours matière à discuter. Prenons l'exemple du témoignage des femmes dans les tribunaux religieux, qui est normalement interdit. Il est possible de prendre appui sur des cas minoritaires : car après tout, à travers l'histoire, on a déjà vu des femmes témoigner. Et lorsque l'on sait que cette interdiction leur est faite parce qu'elles auraient "l'esprit léger", on est, je pense, en droit d'être sceptiques. Ce sont donc en général des arguments qui relèvent plus de la coutume que de questions légales. Chez les libéraux, nous partons du principe que s'il y a des contradictions, il faut être capable de les dépasser pour avancer. Dans le passé, le judaïsme a toujours été évolutif. Et quand la Halakha ne correspond plus à l'éthique universelle, il faut savoir la faire évoluer.
Propos recueillis par Noémie Taylor pour le Jerusalem Post Edition Française (semaine du 02/05/2006).

2 comments:

Anonymous said...

Voici un article qui devrait très certainement t'intéresser...

http://www.jpost.com/servlet/Satellite?cid=1145961278294&pagename=JPost/JPArticle/ShowFull

Noemie said...

Merci beaucoup pour le lien. Super intéressant !