Sunday, November 20, 2005

Claude Lelouch en aparté

Claude Lelouch, "La contrainte sollicite l’imagination "


"Comme l'Etat d'Israël qui s'est créé en relevant des défis", c'est dans la difficulté que le plus populaire des réalisateurs français puise son inspiration.



Après Steven Spielberg l'an passé, c'était, jeudi 17 novembre dernier, au tour du réalisateur Claude Lelouch de recevoir de l'Université Ben-Gourion de Be'er Sheva le titre de Docteur Honoris Causa en Philosophie, pour l'ensemble de son oeuvre cinématographique, dans le cadre du "Jewish Eye" World Jewish Film Festival. Le réalisateur revient sur son attachement à l'Etat Israël et sur son identité juive, un aspect important de son oeuvre cinématographique rarement évoqué.


JP : Se voir remettre le titre de Docteur Honoris Causa, ici en Israël, dans le cadre du "Jewish Eye", quelle valeur affective particulière est-ce que cela comporte pour vous ?
CL : Il existe comme un fil mystérieux invisible qui me rattache au peuple juif. Je suis né dans une famille israélite. Mon père était juif algérien. Ma mère catholique. Elle s'est convertie au judaïsme pour que je sois juif, par amour pour mon père, en 1937, durant une période difficile de l'histoire, où ce type d'engagement était extrêmement risqué. Par la suite, après la guerre tout ce qui s'est produit en Israël m'a toujours fasciné. C'est un pays qui a su tirer sa force des contraintes et qui a toujours été obligé de faire des miracles pour exister.Et c'est justement comme cela que j'ai fait du cinéma ! J'ai toujours dit que mes 40 films étaient 40 miracles réalisés sous la contrainte. Lorsque je n'avais pas d'argent je faisais des films de pauvre, lorsque j'en ai eu, des films de riche, mais toujours en m'adaptant aux difficultés que m'imposait chaque situation. J'ai toujours cherché à m'adapter et à en faire une force. Car à chaque fois, la contrainte sollicite l'imagination. C'est exactement la même chose pour le Peuple juif qui est constamment en danger et qui depuis sa création a sans cesse du relever des défis pour avancer et se construire. C'est un pays qui exprime le meilleur de lui-même lorsqu'il doit faire face à la difficulté. C'est face à la contrainte qu'il est le plus formidable. Me remettre ce titre universitaire aujourd'hui, c'est justement, pour moi, une manière de me dire que j'appartiens à cette grande famille qui survit et qui avance grâce à la difficulté et au défi. C'est une façon de me dire qu'ils m'ont "reconnu".
JP : Vous êtes récompensé en partie en tant que cinéaste juif. Vous avez assez largement évoqué la question de l'identité juive dans vos films, en traitant notamment de l'occupation allemande et de la déportation. C'est étrangement un des aspects de votre cinéma dont on parle relativement peu...
CL : C'est une partie importante de mon cinéma, mais que je perçois comme un aspect parmi d'autres. Je ne suis pas non plus un juif obsessionnel ! En tant que réalisateur, je considère que le reste de l'Humanité est aussi intéressant et composé de gens formidables sur lesquels j'ai envie de m'exprimer ! D'ailleurs, ce qui me frappe souvent lorsque je viens en Israël, c'est l'impression que l'on a que tout tourne presque exclusivement autour de l'identité juive. Cela prend toute la place. Je vois peut-être les choses de manière plus objective car je suis avant tout le fruit d'un mélange. Mes parents, à eux deux m'ont transmis une culture judéo-chrétienne. Mon père n'était pas très pratiquant mais a voulu me transmettre certaines traditions. Nous respections certaines choses, faisions Shabbat, etc... Si ma mère s'est convertie au judaïsme par amour pour mon père, elle n'a de son côté jamais renié son catholicisme et continuait à se rendre à l'Eglise. Je fréquentais moi-même aussi bien la synagogue que l'église. Dans mes films, j'ai d'ailleurs surtout essayé d'évoquer mon identité juive à travers la question de la déportation. C'est un problème que j'ai vécu personnellement pendant la guerre, qui a marqué toute mon enfance et qui mérite une réflexion sur le long terme. Dans Toute une vie (1974), Partir, revenir (1984) ou encore Les Misérables (1994) ma démarche est toujours la même. Comprendre comment des hommes peuvent en exterminer d'autres. Etudier la part inquiétante qui sommeille dans l'être humain.
JP : Vous vous êtes souvent élevé contre l'antisémitisme. On se souvient en même temps de votre engagement aux côtés de Claude Lanzmann, pour marquer votre désaccord avec l'appel au boycott du Festival de Cannes lancé par l'American Jewish Congress qui accusait la France d'être antisémite. Comment vous positionnez-vous aujourd'hui sur cette question ?
CL : Aujourd'hui, à 68 ans, jamais personne en France ne m'a traité ouvertement de "sale juif". L'antisémitisme est avant tout un ennemi invisible, que l'on va ressentir de manière indirecte, dans un papier de journaliste, dans des propos rapportés par d'autres et que l'on a pu tenir sur votre compte sans oser vous le dire en face. "Celui-là, il nous embête avec son problème juif", "il fait un cinéma de juif...". Cet antisémitisme vient en grande partie d'une méconnaissance des autres, tout simplement parce que le grand défaut du peuple juif est d'être un peuple secret. Il n'aime pas se confier aux autres. C'est un peuple extrêmement complexe et diversifié d'où la difficulté de le comprendre et de le connaître. Il n'existe pas encore de "Manuel du Juif" ! Cela m'est arrivé de rencontrer des types antisémites, de leur faire passer une soirée avec des Juifs et qu'ils ressortent ensuite, en disant "si c'est ça être juif, alors c'est formidable". S'il y a de l'antisémitisme en France, cela ne signifie pas que la France est en elle-même un pays antisémite. C'est un phénomène mondial qui existe partout. La France n'est pas plus antisémite qu'un autre pays. Si jusqu'à présent j'y ai toujours vécu, c'est que je m'y sens bien et que cela reste "supportable" !
JP : Vous semblez avoir un attachement particulier pour la région du Neguev. Pourquoi cette région-là d'Israël en particulier ? Pensez-vous que l'avenir du pays réside dans le Neguev ?
CL : Je trouve formidable que les Israéliens soient parvenus à transformer cet immense tas de sable en villes modernes. Qu'une université comme celle de Be'er Sheva ait emmergé de ce désert. Cela relève d'un véritable exploit ! Comme je vous le disais, j'adore les miracles ! L'idée qu'on vous donne un désert et que vous en fassiez ce que le Neguev est aujourd'hui devenu m'impressionne énormement. Aujourd'hui, le Neguev est devenu une région d'avenir où tout est possible. C'est une chance pour Israël. Un véritable tremplin pour le pays. D'ailleurs, si je devais m'installer quelque part en Israël, c'est ici que je viendrais. C'est une possibilité que j'ai déjà envisagé. Mais je pense de toutes façons être bien trop attaché à mon pays, la France, pour venir vivre, définitivement, en Israël.
L'air désormais culte du "chabadabada" d'Un Homme et une Femme,
repris par un quatuor de musiciens, pour cloturer la cérémonie
JP : Vous avez annoncé hier lors de la cérémonie que vous souhaitiez donner des cours de cinéma à l'université Ben-Gourion de Be'er Sheva. Est-ce une manière pour vous d'exprimer à votre tour une reconnaissance envers l'université qui vous honore ? Ou bien est-ce le besoin de transmettre aux jeunes générations de cinéastes? Le projet est-il déjà sur les rails ?
CL : J'ai passé ma vie entière à faire du cinéma. A 68 ans, j'ai aujourd'hui envie de pouvoir
transmettre cela. J'ai toujours rêvé de créer un jour une Ecole de cinéma.Le projet que je suis en train d'élaborer n'est pas aussi ambitieux. Il ne s'agit pas de venir donner des cours régulièrement et sur le long terme à l'université Ben-Gourion. L'idée serait plutôt d'organiser un grand séminaire, mettons d'un mois environ, pendant lequel des filles et des garçons qui auraient envie de faire ce métier pourraient se réunir ici, en Israël, au coeur du Neguev, autour d'une grande réflexion sur le cinéma.J'aimerais pouvoir inviter et faire venir ici les réalisateurs, les acteurs et les techniciens que j'aime le plus au monde, toutes les personnes que j'admire ou avec lesquelles j'ai pu apprécier de travailler. Tous viendraient tour à tour s'exprimer devant un millier d'étudiants qui rêvent de faire du cinéma et débattre ensuite avec eux. L'ensemble de ces débats pourraient même être filmés afin de constituer un document de réflexion intéressant sur le cinéma. C'est une idée qui m'est venue récemment. Le projet n'a encore rien d'officiel, mais je suis en train d'y réfléchir.
JP : Vous avez dit hier votre intérêt pour le cinéma israélien : quel regard portez-vous sur lui ? En quoi vous en sentez-vous proche ?
CL : C'est un cinéma à l'image de son pays et qui ressemble donc forcément au mien : un cinéma de défi. Même s'il connaît un petit succès dans quelques pays à l'étranger, comme en France, notamment, il faut avouer qu'il ne s'exporte pas très bien. Mais ce n'est, de toutes façons, pas son but : le cinéma israélien ne peut pas se contenter d'être un cinéma de distraction. Il ne peut être qu'un cinéma de combat. A l'image de son peuple.
Propos recueillis par Noémie Taylor pour le Jérusalem Post Edition Française
Crédits Photos : Université Ben Gourion du Neguev

3 comments:

Anonymous said...

Je vous aime encore, madame

Anonymous said...

Nono, j'adore ton papier. J'ai l'impression que la discussion avec Lelouch fut fructueuse. L'histoire de ses parents... ;-) Enfin bravo pour le papier, il est vraiment sympa comme tout !

Et je sens que la blogaddict que tu es devenue va bientot reclamer des posts sur mon blog, donc rassure toi ca va venir ce soir, mais la boulot boulot juste avant Thanksgiving !

Encore bravo ! Et nous aussi on t'aime Nono ! Hein les Copines ? Y a qqn ? Allo ?

Andrea said...

Finalement je n'aurai pas eu à chercher très loin mais je crois que ce matin j'étais très mal réveillée^^;;

Merci pour cette longue interview qui apprenait bien des choses ce qui loin d'être le cas de toutes les interviws de cinéma (cf. Ciné Live). J'espère que tu auras l'occasion de nous faire partager de nombreux autres articles tout aussi denses :)

Constance qui souscrit au club "on aime Nono" ^^